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MAD GOD, le film d'animation hors norme et expérimental de Phil Tippet
03 juillet 2022 à 17h40
Passé presque inaperçu - merci donc au label Waxwork qui vient d’éditer sa musique et nous l’a rendu par là même plus visible - le film d’animation MAD GOD réalisé par le seul et unique Phil Tippet, est discrètement sorti dans quelques salles, s’est fait son chemin dans quelques festivals, et pour cette raison, méritait qu’on revienne sur lui !
Phil Tippet, maitre de la stop-motion, créateur des plus iconiques séquences sur des films comme l’Empire Contre attaque (les walkers impériaux), Starship Troopers (les arachnides), Return of The Jedi (les AT-ST), Dragonslayer (l’incroyable Vermithrax, le dragon du film), Robocop (les robots), récemment Jurassic World (en tant que superviseur des effets) ; avait un projet de film en animation image par image, qu’il réussit à produire et à sortir courant 2021.
Hardi mélange de science-fiction post-apocalyptique, d’horreur, de fantaisie et d’un brin de folie, Phil Tippet offre au spectateur une déambulation où le scénario compte moins que les visions étonnantes et pour certaines hallucinatoires de son personnage principal.
Mad God est un film à part, presque cauchemardesque par moment ; une plongée dans un univers sombre et perturbé, une immersion dans un monde baroque, gothique et excessif ; flirtant souvent avec le gore et le grand-guignol, une expérience au delà de l'expérimental, une représentation qui nous semble au delà de l'incommensurable.
Vision d’un ailleurs ou l’horreur le dispute au métaphysique pur, le film ressemble a une étude sur la psychanalyse d’un dément qui aurait rencontré un dieu fou. Prétexte à des visions dérangeantes, mélange d’excès de tout genre morbides et obscènes quand elles ne sont pas dans une scène d’anthologie, scatologiques ou du moins organiques, les images sont autant d’appels à l’aide, ceux d’un esprit à la dérive, d’un esprit traumatisé. Cauchemars vivants, plongées au sein des enfers - c’est probablement le métrage le plus abstrait (loin devant Eraserhead) qui nous aura invité à explorer une psyché ! La question qu’on se posera est la suivante : peut-on envisager cette exploration comme une forme de témoignage, celui d’un esprit fécond, ou bien celui d’un esprit en quête de quelque chose d’autre ?
Désespéré et parfois angoissant le film fait montre d’une maestria rarement vue, encore moins sur un film d’animation. Alors Phil Tippet est-il un génie qui s’essaye à l’horreur ultime, l’incommensurable, tel que décrit par Howard Philip Lovecraft ?
C’est ici que pour nous le titre commence à prendre tout son sens - entre perversions, totalitarisme, violence mentale ou physique !
Devenant périple dans des mondes qui se superposent - alors, quel en est le créateur ? - Mad God est empli de visions de monstres, de créatures soit mythologiques soit issues (ou le semblant) de nos rêves les plus malsains avec leur visions de mort et de domination. Bénéficiant de la patte inimitable de leur concepteur - le grand Phil Tippet - ces visions offrent au spectateur des décors inouïs et des idées par dizaines ! C’est sans doute le film ou le débit visuel aura été travaillé de telle sorte qu’il ne cesse d’interroger le spectateur, lui montrant tant de détails et de références qu’il lui devient impossible de toutes les appréhender.
Allégorie sur la conception ou les créations d’univers différents, Mad God est un film d’auteur avant tout, ou se retrouve tout le talent de Phil Tipett, son perfectionnisme et sa démesure. Bourré de clins d’œil, d’images symboliques ou mystiques, chaque plan, osé, tortueux ou simplement horrifique nous amène tout logiquement à ce moment attendu, une communion avec un dieu inconnu, avant un nouveau big bang.
Filmant alors l’éternel recommencement Phil Tippet joue avec la trame du temps et l’histoire !
Le compositeur Dan Wool a commencé à travailler sur le métrage en 2009, mais il faut se souvenir que c’est un projet sur lequel Tipett avait déjà travaillé il y a une trentaine d’années, puis qu’il avait abandonné, puis repris enfin plus tard. Dans cette histoire sans paroles - ce qui pose le problème de la musique en des termes encore plus tranchés, puisque seuls les sons, et de rares onomatopées peuplent la bande-son - il fallait occuper un espace précis, mais lequel ?
Travaillant à l’image, le compositeur a finalement écrit en regardant les images se succéder, d’une façon qu’on pourrait presque qualifier d’écriture automatique, se laissant guider - comme il avait eu l’occasion de s’en expliquer - en fonction de ce qu’il ressentait. Parfois énigmatique, parfois atmosphérique et sombre, sa musique accompagne le film dans sa démesure assumée.
L'album sortira en novembre de cette année.
Pour les fans, voici quelques photos de Phil Tippet à l'œuvre… (Tous droits et copyright : Phil Tippet & Mad God)
Sylvain Ménard, juin 2022