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La composition de musique de film : Outils physiques et numériques… une réflexion nécessaire aujourd’hui
29 août 2025 - 14:00
C’est en ré-écoutant le score composé par Elmer Bernstein pour Taram Et Le Chaudron magique, une production Disney, que l’on se rend compte de l’état parfois troublant ou étonnant de la composition pour le cinéma, et des choix de certains compositeurs et compositrices, relatifs à la façon de composer et d’ornementer, quand il ne s’agit pas tout simplement d’orchestrer.
Nous savons que l’on a coutume de dire, qu’il faut évoluer avec son temps, que la musique se doit d’accompagner les bouleversements (ou les évolutions) du monde qui nous entoure. Or il ne nous a jamais paru aussi curieux de constater qu’il existe pléthore d’instruments physiques allant des ondes Martenot (le cas avec Elmer Bernstein), aux synthétiseurs et arpégiateurs, en passant par les systèmes plus complexes comme les Moogs. Mais tous ces instruments sont physiques, et même s’ils peuvent être ‘copiés’ voire reproduits, le recours à de simples logiciels ou de banques de sons, semble presque appauvrir la part de créativité liée à l’orchestration.
Or le discours, qui s’avère relativement général, tenu par les compositrices et compositeurs, englobe assez naturellement l’usage de l’ordinateur et du logiciel, dans une approche souvent finalisée en termes de sonorités. Nous parlons de ‘complément’, d’une sonorité spécifique recherchée par l’artiste. Mais est-ce que cela ne nuit pas à l’interprétation, puisque si recours à l’informatique il y a, l’instrument dont on a recherché le son spécifique ne sera pas représenté lors des enregistrements ou lors de concerts.
Il y a là matière à réflexion, puisque l’outil numérique en proposant une substitution, remplace (idéalement ?) une sonorité, issue d’un instrument physique - un instrument dont on perçoit les irrégularités, où on entend les doigts qui frottent, le bruit des cordes ou des touches - mais dont on ne retrouvera pas ce caractère ‘imparfait’, mais humain, à la fin !
C’est un peu comme si en évoquant le Nyckelharpa (lire l’article), un instrument typique suédois de la famille des vièles à archet ; le Thérémine, un instrument ne nécessitant pas de contact direct de la main, bien connu pour son utilisation par des compositeurs comme Bernard Herrmann ou Danny Elfman ; ou bien les fameuses ondes Martenot, que des compositeurs comme Arthur Honegger ou Olivier Messiaen ont démocratisés ; on décidait de les remplacer tout simplement par un algorithme, alors même que l’instrument existe, et que sa sonorité est incomparable. Nous rajouterons (merci à David-Emmanuel qui m’en a parlé) le Cristal Baschet, ou Orgue de verre, utilisé par Jérôme Rebotier sur le Comte de Monte Cristo, un instrument qui pour sa part utilise le frottement et produit une vibration - donc atmosphérique - que rien ne saurait simuler.
Si l’utilisation de ces instruments - y compris pour ceux électroniques créés à partir des années soixante et soixante-dix - a été largement popularisé par la musique moderne, concrète ou expérimentale, leur usage souvent parcimonieux sur des films, leur a donné une visibilité particulière, ajoutant à l’étrangeté ou l’angoisse des moments grâce à leurs tonalités étonnantes. Alors les ‘oublier’ au profit d’un programme et d’un logiciel dédié, certes représente probablement une économie, mais également la disparition d’un instrument spécifique.
C’est là tout le problème de cette évolution, qui veut nous laisser croire que l’outil n’a qu’une fonction très précise et au final restreinte ; celle de remplacer un instrument utilisé pour ses sonorités et en fonction d’un minutage réduit. Mais le logiciel va remplacer le musicien également, puisque par définition un instrument se joue. Là, nous ne parlons pas de composer et de faire appel à l’intelligence artificielle pour ‘remplir’ les blancs’ et agrémenter de quelque façon que ce soit la partition, l’algorythme se substituant à l’humain (et l’artiste) derrière l’écriture. Non il s’agit d’utiliser un logiciel afin d’ornementer un passage déjà écrit, en l’orchestrant via l’ordinateur. Il n’y a plus à ce moment d’outil physique, uniquement le logiciel qui se substituera aux instruments.
Mais bien sûr, à côté de cet usage que l’on fait des logiciels, il y a également celui qui permettra d’étoffer ou de souligner la partie instrumentale qui sera interprétée par les musiciens. Cette utilisation, optimise la partition en lui permettant à moindre coût de densifier l’orchestre. La grosse différence est que ce sera l’ingénieur du son qui ‘va monter’ les différentes pistes entre elles, ceci incluant les prises séparées (si c’est le cas) des musiciens pour les sections de cordes, vents ou cuivres… Mais là encore, on ne remplace pas un instrument, on complète… la démarche est différente.
Sylvain Ménard, août 2025
Liens :
La Nyckelharpa ; dans la collection Ocora, la Suède est mise à l’honneur aux Editions Radio France
https://www.cinemaradio.net/news/la-nyckelharpa-dans-la-collection-ocora-la-suede-est-mise-a-l-honneur-aux-editions-radio-france-897
