Se connecter
‘LIBERTATE’ de Tudor Giurgiu : une réflexion sur la révolution roumaine ; ou comment l’histoire se fait par petites touches, intimement, baignant dans l’absurde, la compromission et le drame
19 mai 2025 - 19:35
En immersion dans les locaux de la Police, puis dans les rues et enfin dans une piscine qui servira de lieu de détention, le spectateur vit une journée historique, celle qui aura vu la destitution des Ceaușescu en Roumanie et la fin d’une dictature abusive, répressive et contre nature. Mais très vite le réalisateur Tudor Giurgiu a embrassé les situations individuelles, soulignant les petites bassesses des uns et des autres, l’absurdité des confessions, et le caractère dramatique et définitif des disparitions.
Avec ingéniosité et finesse, Tudor Giurgiu nous propose une vision presque intimiste de la révolution roumaine - car vue au travers de petits groupes, chacun constitués d’individualités différentes - dans ce qui apparaît presque comme un théâtre d’avant garde. Et avant gardiste, le film l’est probablement en optant pour des plans soigneusement cadrés dont la cinégénie renvoie à des scènes d’opéra (les prisonniers dans la piscine vidée) ; des images que souligne une photographie aux tons superbes, le tout dans une mise en scène une fois encore très théâtrale.
Petite histoire de la grande histoire - entre drames, exactions, retournements et exécutions sommaires - LIBERTATE, sans nous imposer de violence gratuite, mais simplement en nous montrant ‘l’humanité’, nous plonge dans un mouvement où il semble bien que la désinformation, les fausses rumeurs et le chaos, fournissent suffisamment de combustible afin d’alimenter ces grands évènements.

C’est presque une vision d’apocalypse ; celle d’une humanité en dérive ou des innocents tirent sur des coupables ; à moins qu’il ne s’agisse de coupables qui tirent sur des innocents ; ou encore d’innocents qui tirent sur des innocents ! Puisque comme le démontre avec subtilité Tudor Giurgiu, entre l’opportunisme de la situation, la volonté d’en finir avec le communisme et la peur de ce qui pourrait arriver maintenant, chacun se trouve devant ses propres responsabilités, devant ses propres choix.
Les dérives - finalement peu nombreuses, tel n’est pas le sujet ici - sont le reflet de journées identiques, telles qu’en France nous avons pu en connaitre au lendemain de la libération. Avec leur lot d’incertitudes, de mensonges et de dénonciations, parfois d’exactions ; LIBERTATE nous invite à une réflexion profonde et salutaire, sur nos devoirs, et sans doute sur notre statut d’humain, capable du meilleur comme du pire. Cette notion d’humanité qui est omniprésente dans le film, nous donne à penser qu’une fois que tout cela sera terminé ; et le réalisateur nous offre à la fin cette vision de la piscine ‘vide’, une fois les prisonniers libérés ; on ne gardera à l’esprit que les grand moments, ceux qui appartiennent à la mémoire collective : et on oubliera les mesquineries ou les actes contestables, demeurant alors la mémoire individuelle.
Entre émeute et mouvement spontané, coup d’état ou intervention d’un tiers étranger, les spéculations ont toujours été présentes et encore aujourd’hui beaucoup d’informations contradictoires empêchent de bien comprendre la réalité des faits dans leur déroulement et la nature des acteurs qui en étaient parties prenantes.
On parle de lutte fratricide, puisque par nature une révolution, ou une guerre civile, oppose les uns aux autres. Et la grande force du réalisateur Tudor Giurgiu est bien de s’attarder sur ‘ses’ personnages, sur leurs motivations, plutôt qu’aller vers une vision globale qui nous aurait moins convaincue.
C’est par le biais de ces instants qui se croisent et de ces destins chamboulés, à la vision de ce qui n’est autre qu’une guerre civile, mais filmée à l’échelle humaine : que nous prenons la mesure de ce que fut cette révolution de 1989.
Sylvain Ménard, mai 2025

Credit photos : Libra Films
