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Pour saluer la sortie de son superbe album ‘In vino veritas. Hommage à Khayam’ ; Anousha Nazari offre un long entretien à Cinémaradio…
17 juin 2024 à 10h00
La musique de l’âme - ce qui vous avouerez est une belle façon de parler des émotions, une autre façon de les décrire - est sans nulle doute le terme qui nous vient à l’esprit en écoutant ‘In vino veritas. Hommage à Khayam’.
Anousha Nazari, une personne absolument adorable, offre à Cinémaradio, une belle interview… que nous vous invitons à découvrir.
Après avoir parlé d’arts, de musique et de littérature avec Anousha en préambule de notre entretien, il nous est apparu comme une évidence que cet entretien serait complexe. Complexe dans le sens où, une artiste comme Anousha Nazari offre à l’auditeur le meilleur d’elle même, avec sa voix, son âme, une certaine perfection… des mots souvent délaissés, des mots qui ici prennent tout leur sens, et soulignent la fusion entre la beauté et cette nécessité de transmettre quelque chose !
L’entretien reflète cette quête qui anime Anousha (elle le souligne à plusieurs moments par ailleurs), et ce besoin de s‘inscrire dans le ‘beau’… Finalement c’est presque une évidence lorsqu’on écoute ses albums.
• Nous avons eu le plaisir de découvrir votre album « In vino veritas. Hommage à Khayam ». Comment avez-vous eu l’idée de cet album. Est-ce un hommage à vos racines, la poésie, la musique…
Anousha Nazari : L’idée de cet album vient de Sina Abedi qui est architecte et directeur artistique, et qui m’avait parlé il y a quelque temps de ce projet… auquel j’avais immédiatement dit oui ! Omar Khayam est un auteur que j’admire beaucoup.
Pour moi, Omar Khayyam est un poète d'une grande profondeur, malgré le fait que certains le perçoivent comme insouciant ou le comparent à Épicure. Il était à la fois poète, philosophe et astronome. Khayyam a conçu un calendrier solaire qui reste, à ce jour, l'un des calendriers les plus précis au monde. Je pense donc qu'il avait une compréhension profonde de la vie, et qu'il est revenu à l'essence même des choses, en quête éternelle de l'instant présent.
Et pour répondre à votre question, c’est un hommage universel à la poésie et à la musique.
• Vous rendez à votre pays un bel hommage… votre voix, les thèmes - et bien sûr les musiques écrites par vos contemporains -, tout concoure à faire de cet album un superbe objet.
Anousha Nazari : La création de cet album a été un véritable voyage artistique et émotionnel. Le travail a commencé par une recherche approfondie sur les œuvres de Khayam, afin de saisir l'essence de ses poèmes. Ensuite nous avons fait appel à quatre compositeurs contemporains qui ont écrit des morceaux sur les quatrains de Khayam, pour une formation de musique de chambre : chant lyrique, piano et clarinette. Trois de ces compositeurs vivent en Iran, un autre au Pays-Bas.
• Comment s’est déroulé le travail à proprement parler de la composition ? Vous aviez des ‘intentions’, des idées à la lecture des poèmes, une base qu’ils pourraient exploiter ?
Anousha Nazari : Chacun a choisi un quatrain en fonction de sa sensibilité, de son inspiration propre ; puis ils ont écrit des morceaux classiques pour le chant lyrique, le piano et la clarinette.
• Une question me vient là soudain… on dit cantatrice, chanteuse classique… ?
Anousha Nazari : Les termes "chanteuse lyrique", "chanteuse classique", "chanteuse d'opéra" et "cantatrice" se réfèrent tous à des interprètes dans le domaine de la musique vocale classique, mais ils mettent l'accent sur différents aspects de la pratique musicale. Une chanteuse classique peut interpréter un large éventail de musique classique, pas seulement de l'opéra. Une chanteuse lyrique et une chanteuse d'opéra sont souvent considérées de manière interchangeable, spécialisées dans l'opéra avec une technique vocale puissante adaptée aux exigences dramatiques et émotionnelles de l'opéra. "Cantatrice" est simplement un terme italien qui désigne une chanteuse d'opéra, soulignant souvent la maîtrise et le prestige dans le domaine de l'opéra.
• Après ce travail de composition, vous avez commencé à répéter sur l’album, sur les morceaux.
Anousha Nazari : Oui… Avec ma collègue pianiste Laurianne Corneille, nous avons commencé à travailler en essayant de rester le plus fidèle possible par rapport à l’œuvre originale. Nous collaborons ensemble depuis un moment et partageons la même sensibilité artistique, ce qui, à mon avis, est essentiel pour un travail artistique donc nous avons beaucoup travaillé avec Laurianne ensemble, en construisant à chaque répétition une nouvelle couche. Les œuvres, qui sont des créations originales et n'avaient jamais été interprétées auparavant, ont nécessité un travail considérable pour les élaborer conjointement. Nous avons également collaboré à distance avec les compositeurs, enregistrant les morceaux et leur envoyant les enregistrements. Il y a eu plusieurs échanges durant lesquels ils apportaient de petites modifications et ajustements. Toutefois, le résultat reste très succinct, axé davantage sur les nuances.
• Nous sommes déçus de n’avoir pas plus de morceaux à écouter. Et, la question centrale, adapter des œuvres dans un format court, n’est-ce pas compliqué de fait ?
Anousha Nazari : La durée des morceaux, entre trois, quatre, cinq minutes, n’est pas si courte que ça. On reste sur un album qui au total fait dans les trente minutes, mais qui est comme un clin d’œil aux quatrains de Khayam, à leur brièveté, à leur côté direct.
C’est un peu comme si on les lisait. Les quatrains sont une strophe de quatre vers, on les lit en très peu de temps, puis on laisse le temps de rêver.
• Oui, la musique est bien plus directe, plus ciselée… comme sur des miniatures ! Il y a une économie de moyens, c’est très réfléchi, concis et ça nous interpelle. On concentre tout de suite l’intérêt de l’auditeur…
Anousha Nazari : Ce type de format, celui de la musique de chambre contemporaine, est souvent conçu de cette manière.
• Vous avez une voix superbe, et en tant qu’auditeur on est transporté par elle. Et c’est une question (rires)… C’est beaucoup de travail, notamment pour un album tel que celui-ci ?
Anousha Nazari : Oui… c’est vraiment un travail exigeant, et très enrichissant. C’est globalement très difficile, il y a de la frustration, le travail personnel de chaque artiste, chacun apportant sa propre sensibilité. Interpréter et donner de soi à travers la musique demande une grande introspection et un engagement émotionnel profond. Puis ce sont les enregistrements qui tiennent compte des petits calages ou de petites modifications. Et enfin il y a le travail de post-production. L’ensemble des instruments est enregistré tel quel, sans modifications, nous jouons et chantons ensemble, c’est vraiment ça « l’esprit classique » !
• Être chanteuse lyrique , c’était un rêve de petite fille ?
Anousha Nazari : Non, en fait, je pense que je n’en rêvais pas. Il y avait beaucoup de musique à la maison et j’étais déjà sensibilisée à la musique classique, mais ça ne m’importait pas tant que ça.
C’est seulement vers l’âge de 16 ou 17 ans que le chant est arrivé.
• On se pose à ce moment la question des influences, la musique nous ramène vers des horizons persans, et votre voix qui se cale en transposant les courts poèmes nous ramènerait plus vers le continent européen…
Anousha Nazari : J'ai suivi une formation en musique classique et lyrique, et j'ai toujours été fascinée et émerveillée par la musique classique occidentale. Dans mon travail, J'essaie de créer un équilibre entre les influences persanes et européennes, en choisissant des œuvres qui me permettent d'explorer et de fusionner ces deux mondes musicaux. Mais c’est l’envie d’approcher la beauté qui m’anime dans toutes mes activités. C’est-à-dire qu’au-delà des spécificités culturelles, c’est bien le plaisir offert par la musique qui m’anime et c’est ce qui me permets de faire des choix pour mes projets.)
• Nous sommes dans un mode contemplatif qui revendiquerait son appartenance au mouvement moderne classique et après - on peut penser à des Debussy, du Ravel - puis aux modernes ou contemporains.
Anousha Nazari : J'apprécie énormément les compositeurs tels que Debussy et Ravel, et j'ai un grand intérêt pour la musique impressionniste. Dans mon répertoire, je m'efforce souvent d'inclure ces compositeurs, en les associant à d'autres compositeurs persans, tout en intégrant un peu de cette influence impressionniste. Dans cet album, les morceaux ont été écrits par des compositeurs iraniens de musique classique contemporaine spécialement pour une formation de musique de chambre. Ainsi, vous pouvez ressentir l'influence de la musique classique occidentale enrichie de touches et d'influences persanes.
• On sent en vous cette envie d’exprimer ce que vous êtes. On pourrait vous rapprocher du travail de certains artistes engagés à offrir des œuvres qui se nourrissent de leurs racines, du Moyen-Orient, de l’Asie… tout en établissant une passerelle, entre deux continents ?
Anousha Nazari : Je ne me considère pas comme une artiste engagée, et je trouve que ce terme n'est pas tout à fait approprié. J'ai un problème avec l'idée d'art engagé, car cela me semble réducteur. Je pense que l'art naît d'un besoin personnel, qu'il soit issu d'un malheur ou d'un bonheur, et que l'art en lui-même raconte tout. Pour ma part, je travaille sur des thèmes qui ont du sens pour moi, sur ce qui est "beau". La beauté est l'élément essentiel et moteur de mon travail, et cette beauté est, à mes yeux, universelle. Elle n'appartient à aucun pays ni à aucune culture en particulier.)
• Une dernière question Anousha, vous lisez beaucoup ? Des auteurs assez divers, ou des genres différents…
Anousha Nazari : Avant, je lisais beaucoup. Beaucoup de romans classiques, de Balzac à Hugo en passant par Stendhal, Dumas… Maintenant je lis plus de contemporain comme Patrick Modiano et Annie Ernaux par exemple. J’essaie de trouver des livres qui me permettent de respirer ; mais c’est comme pour la musique, écouter celle qu’on aime, prendre du temps pour soi.
Une artiste a besoin de se libérer, et parfois de ne rien faire.
• Nous allons nous quitter sur cette réflexion… Merci Anousha Nazari, pour votre gentillesse et votre disponibilité.
Anousha Nazari : Merci infiniment à vous.
Sylvain Ménard, juin 2024
Crédit photos : ©klaudia kaczmarczyk