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CRITIQUE DU FILM Baghdad Station
07 janvier 2019 à 15h59
Une projection presse, c’est souvent l’occasion d’avoir l’opportunité de voir un métrage hors de certains contextes, dans un cadre plus serein et le Club Marbeuf à Paris est idéal pour cela.
Baghdad Station est un film difficile (sa trame) et dans le même temps évident, et ce qu’elle que soit notre religion, notre perception du monde ou nos opinions plus profondes ! Que l’on soit affecté justement par les attentats et la violence ; qui n’est pas absente de nos vies même au sein de nos sociétés occidentales ; par ces images d’ailleurs où la peine se marrie à la joie et au besoin d’aller de l’avant, que l’on soit sensible à ces histoires de reconstruction, d’errance et de sentiments de perte, Baghdad Station est le film que vous pouvez voir.
Non pas qu’il soit le chef-d’œuvre que l’on attendait, mais tout simplement (et avec humilité) parce qu’il nous met en relation au travers des autres avec nous mêmes, nos besoins et nos réalités. Dans cette histoire simple d’une jeune fille (dont nous ignorons tout) et qui se rend à la gare centrale de Baghdad afin d’y faire sauter une bombe et de mettre fin à sa vie en martyr, nous pourrions n’être que face à un film à suspense, un thriller que nous autres occidentaux affectionnons. Mais voilà, le réalisateur Mohamed Al-Daradji porte un regard empreint de compréhension et sans jugement sur ces personnages ; de la jeune kamikaze, personnage féminin si fort et si fragile à la foi, à ces enfants si forts eux (parce qu’ayant déjà tout perdu) et ayant tant besoin d’amour, et jusqu’à ce lourdaud, aussi balourd que lâche au début et empli de dignité par la suite.
Car tel est bien le message de ce film, montrer que tout n’est pas aussi clair et idéal qu’on le souhaiterait ce que d’ailleurs les réactions des soldats que l’on croise, qu’ils soient réguliers ou américains en déploiement, ne fait que souligner ! Montrer aussi qu’avec cette troublante réalité, cette dualité qui est de vivre dans un pays partagé et qui souffre des attentats, il y a une vie féconde, constitués de ces instants que l’on capture, des enfants perdus et parfois agressifs, à ces adultes qui se cherchent, s’oublient et ne se voient pas comme cette femme qui vient chaque jour voir l’homme (le joueur de flûte) qui lui avait promis de l’épouser il y a longtemps !
J’en suis presque arrivé à un moment à me demander si le personnage principal n’était pas la gare, qui agit comme un vortex, attirant tout et tout le monde, les mettant en scène et les propulsant alors dans l’histoire. Ce qui est curieux, c’est qu’au delà de la forme du film - relative unité de temps, de lieux et d’action - il fonctionne à la perfection, nous offrant toute une galerie de personnages, qui pourraient être… des voisins, des gens que l’on aimerait connaître !
Car c’est bien la gare, symbole universel de l’interconnexion entre les gens, qui ici prend vie et nous gratifie de toutes ces études de personnalités.
Et là était le piège, car les premières minutes, nous offrent une cacophonie de sons et de mots, où les enfants sont souvent vulgaires, où les noms d’oiseaux pleuvent, où la moindre interaction se fait par le biais de quelques insultes… Et là le miracle se produit, on distingue au travers de ces mots, les situations réelles, le bouleversement des uns et des autres, leurs faiblesses… et leur richesse ! Reflet d’une société en reconstruction, où cohabitent des nantis, des faibles, des malheureux ou des faux caïds comme ce jeune homme dragueur, excessif et finalement se montrant sensible, porté par un besoin de se relever et d’envisager le meilleur pour lui et les autres ; Baghdad Station est un film où la trame qui réunit tout ce petit monde (finalement très représentatif) nous invite à nous interroger et à ne pas juger. La démarche du réalisateur - légitimement impliqué parce que Irakien avant tout - semble alors être de nous laisser observer, ce qu’il fait avec retenue et justesse.
Bien sûr l’acte central est lié à Sarah, femme soldat ou pantin à la solde d’organisations patriarcales (comme le souligne Mohamed Al-Daradji dans ses interviews) qui n’hésitent pas à contaminer les esprits et à se servir des faiblesses de ces « soldats », les alimentant en faux messages. Alors même que nous demeurons ignorants des raisons qui poussent Sarah à planifier cet acte, alors même que nous ne savons pas réellement ce qu’il est advenu des parents des jeunes enfants (la petite fille et son grand frère si touchants, si vrais), ou de la fausse superficialité de Salam ; la force du métrage est bien de nous confronter à ces vies, certaines brisées, certaines autres pleines d’espoir.
Le défi aura été d’avoir réussi à mener à terme, malgré les écueils que l’on peut imaginer, un projet moins évident qu’il n’y paraît, porté par un sujet pas si facile et loin de beaucoup de considérations simplistes. Un mot sur la musique de MIKE & FABIEN KOURTZER, nos deux français de White & Spirit (leur alias !), qui sait épouser sans dénaturer l’histoire et apporte un petit supplément d’âme ! Un mot aussi sur ses maisons de productions (dont Lionceau Films, Human Films, Iraqi Indépendant Film Center ou Picture Tree International GMBH), sans lesquelles de tels projets n’arriveraient probablement pas jusqu’à nous ; et ce qui, vous en conviendrez peut être après avoir vu le film, serait dommageable pour tous.
Et ce que réussit au final Mohamed Al-Daradji grâce à un scénario limpide et direct, c’est à nous faire vivre ce temps presque trop court (le film dure 82 minutes) comme s’il durait des heures avec la gorge qui se serre et la sensation qu’il faudrait que le film finisse maintenant, tant on souhaite qu’il se termine bien, que le destin sourit enfin à ces gens, hors la guerre, hors la violence ou la haine !
J’avoue par contre être en désaccord (ou plutôt ne pas accepter) l’acte final, la dernière image très neutre, qui nous met au pied du mur, comme si le réalisateur souhaitait définitivement ne pas trancher et nous laisser décider.
Sylvain Ménard, le 7 janvier 2109