Si la mise en scène peut paraître osée - ‘ROCK BOTTOM’ n’est pas un film tout public étant clairement destiné aux adultes - l’enthousiasme que l’on ressent à la vision de ses décors soignés et de ses personnages fouillés ; dont l’esthétique renverrait à celle des frères Fleischer (Dave et Max) auxquels on doit le rotoscope utilisé ici (outil permettant de ‘décalquer’ les mouvements des personnages) ; est bien réel, et fait que nous sommes totalement conquis par ce qui nous apparaît comme une belle esquisse d’une période passée, avec ses expérimentations et son besoin d’émancipation au service d’une belle histoire.
Visuellement, si le film répond à ses propres paramètres, on ne pourra s’empêcher de le rapprocher également de certaines œuvres de Ralph Bakshi, quand parfois les décors semblent à peine esquissés, comme s’il s’agissait de photos, et qu’on retrouve ce mélange de film et d’animation. C’est à ce moment du film qu’on ressent un peu de longueur au niveau de certaines scènes, où l’on perd le fil de l’histoire réelle et de ce qui correspond à cette exploration du mouvement psychédélique, dans cette recherche permanente de sensations et de perceptions.
Et il est fort probable que certains spectateurs seront surpris par l’image renvoyée (mais c'est un film d'animation pour adultes), celle d’une jeunesse qui se laisse aller dans la consommation d’alcool et de drogue, celle d’une jeunesse oublieuse des règles…
Mais il est évident que cette génération a souffert d’un contexte international dramatique avec la guerre froide, la guerre de Corée, puis celle du Vietnam ; et qu’elle était désireuse d’avoir une autre vie sans la guerre en toile de fond et sans l’absurdité des politiques de l’époque.
Et c’est bien là qu’il faut re-contextualiser le discours du film en fonction de l’époque évoquée, et en soulignant l’absolue nécessité qu’avaient ces artistes - jeunes filles et jeunes gens, ces personnes ‘de la rue’, des personnes ‘lambda’ - d’essayer d’entrevoir autre chose d’un monde qui semblait s’éloigner de tout et qui glorifiait le chacun pour soi.
Techniquement irréprochable, le film nous propose des plans d’une grande complexité ou tous les personnages sont animés, où il y a du mouvement dans des décors léchés, sans que le spectateur ne se perde dans l’action et dans ce qui se déroule à l’écran. En cela nous nous éloignons de la conception de beaucoup de films récemment sortis, des films d’animation sans âme et sans relief, où la volonté de ‘ressembler’ au monde réel (ce que par définition n’est pas un dessin animé ou film d’animation) ne mène qu’à la caricature.
Le film bénéficie de la sorte d’une approche artistique harmonieuse que tout un chacun appréciera pour ce qu’elle est, le reflet de la réalité, mais sublimée dans cette optique propre au dessin animé, tel qu’on devrait la percevoir.
Ambiance psychédélique, très belle restitution de ces années 70 ´, personnages hauts en couleur…, tout cela concoure à faire de ‘ROCK BOTTOM’ un voyage profondément original dans un univers par moment onirique et à d’autres extrêmement réaliste, car après tout nous observons la relation de Bob et Alfie (de son vrai nom Alfreda Benge), une relation qui les mènera d’une histoire d’amour très seventies, aux épreuves avec l’accident de Bob en 1973 et qui le laissera invalide, puis à une vie commune qui aujourd’hui continue de s’épanouir.
En évoquant cette période de création, un fragment de la vie de l'artiste Robert Wyatt, la réalisatrice semble souligner le caractère étonnant, quand il n’est pas farfelu, et dans le même temps extrêmement pointu du schéma de création, qui honore le mouvement psychédélique et avant-gardiste de cette période.
Sans doute le film eut-il gagné à être un ‘tout petit peu’ plus court et à moins se focaliser sur les scènes abstraites illustrant les chansons, quand bien même elles immortalisent la création de l’album ‘ROCK BOTTOM’ de Robert Wyatt !
synopsis : ROCK BOTTOM nous plonge dans l’histoire d’amour vertigineuse de Bob et Alif, deux jeunes artistes de la culture hippie du début des années 1970.
Sylvain Ménard, juillet 2025